La mimesis (« imitation ») est un phénomène esthétique. Aristote affirme dans sa Poétique que tous les arts procèdent de ce phénomène, même si l’objet, les moyens et la manière de l’imitation diffèrent. Ainsi, la musique imite le monde à travers le son et le rythme ; la peinture à travers la couleur ; la poésie à travers l’action et la parole.
Les lois de l’imitation selon Gabriel Tarde
La mimesis est propre à la nature humaine. Aristote pose que toutes les actions humaines sont mimétiques, en particulier lorsqu’elles visent l’apprentissage. Dans cette perspective, chaque domaine du savoir est fondamentalement un produit de la mimesis, puisque les hommes apprennent tous par imitation. « Imiter, explique le philosophe, est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance (l’homme diffère des autres animaux en ce qu’il est très apte à l’imitation et c’est au moyen de celle-ci qu’il acquiert ses premières connaissances) » (Métaphysique). La mimesis ne consiste cependant pas dans l’imitation des idées platoniciennes. Ainsi, la poésie représente bien des vérités universelles, mais l’Histoire, elle, représente des faits particuliers. Aristote ajoute que les hommes trouvent du plaisir dans la mimesis. Elle permet même de supprimer le désagrément causé par la vue des choses dont l’apparence blesse l’œil. Par exemple, l’homme prend plaisir à contempler les images des animaux les plus méprisables, ou de cadavres, si la reproduction est fidèle à l’original. Aristote estime que la jouissance éprouvée dans la mimesis s’explique encore par le caractère agréable de l’apprentissage. Plus précisément, l’homme ressent de la satisfaction lorsque la vue d’une image lui permet d’apprendre en liant la chose représentée à la chose réelle. Aristote en déduit que si l’ignorance de la chose réelle empêche l’apprentissage, alors le plaisir du spectateur dépend entièrement des qualités propres à la chose représentée.
L’animal politique selon Aristote
Aristote affirme que la mimesis idéalise la réalité
La mimesis est la faculté distinctive de l’artiste. Aristote met en évidence le fait que l’esprit du public se concentre sur le format de la production du poète, en conséquence de quoi il ne se rend pas compte que l’essentiel de l’art du poète repose sur sa capacité à imiter. Or, c’est cette capacité qui rend le poète spécial par rapport au reste de l’humanité. « L’imitation, avance le philosophe, nous est donnée par la nature ; si bien que les hommes sont dotés de ces dons, les développent progressivement, et créent finalement l’art de la poésie » (Poétique). Dans le détail, le poète recourt à l’imitation de trois manières différentes : il peut s’exprimer en sa propre personne, comme dans les dithyrambes ; il peut s’exprimer à travers ses personnages, comme dans la comédie et la tragédie ; ou bien il peut encore mélanger les deux solutions, comme dans la poésie épique. Sur le plan du fonctionnement, le processus esthétique de la mimesis est comparable au processus par lequel la nature crée la matière et la forme. La création artistique et la création naturelle obéissent toutes deux à des principes internes qui sont cohérents. Par exemple, un art narratif dépend de l’intrigue, de l’action, des personnages, ou encore de la diction. Le rapport de l’art et de la nature relève donc également de l’imitation : l’art imite la nature qui agence des moyens en vue d’une fin. Mais Aristote estime que la main de l’artiste peut remédier aux déficiences de la nature.
La mimesis explique l’effet de la tragédie. Aristote parvient à cette idée en précisant que l’effet de la poésie mimétique diffère selon l’objet de l’imitation. Dans la tragédie, en particulier, la mimesis rend les personnages meilleurs (cet effet distingue notamment la tragédie de la comédie). Le philosophe définit plus généralement la tragédie comme « une imitation de l’action humaine qui est sérieuse, complète et d’une certaine ampleur ; dans un langage agrémenté de toute sorte d’ornements artistiques, les différentes sortes se trouvant dans différentes parties de la pièce ; elle préfère représenter l’homme en action plutôt qu’utiliser la narration, elle représente la pitié et la peur afin de produire la purgation appropriée de ces émotions » (Poétique). La tragédie engendre donc aussi une imitation dans l’esprit du spectateur, lequel revit intérieurement ce qui se passe sur la scène. Aristote considère que chaque élément de ce genre procède de la mimesis. Par exemple, le protagoniste imite l’action d’un homme supérieur — seulement, il est présenté sous l’angle de ses faiblesses afin de rendre sa chute crédible. La mimesis comporte donc un biais de narration. Le poète ne se contente pas de copier la réalité ; en la modifiant, il crée une représentation qui ne correspond à aucun modèle. Il confère par là à l’histoire — même celle qui s’inspire de faits historiques — une universalité qui la rend plus belle que la vérité factuelle. Aristote en conclut que la mimesis permet à l’œuvre d’art de transcender à la fois la nature et la réalité humaine.
