Le darwinisme social adapte la théorie de Darwin à la société. Inspiré par certains biologistes de son époque, Herbert Spencer pose dans ses Premiers principes que la lutte pour la vie est la loi naturelle selon laquelle s’organisent les relations sociales. L’espèce humaine s’améliorerait ainsi en éliminant les individus les moins adaptés à son milieu de vie.
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Le darwinisme social met en lumière l’évolution de la société. Herbert Spencer affirme que la société évolue selon des lois universelles qui se comprennent à partir d’une logique d’intégration et d’une logique de différenciation. D’une part, elle progresse d’une forme moins cohérente à une forme plus cohérente, comme l’illustrent le rassemblement de familles nomades en sociétés de plus grande taille, ou encore le passage, sur le plan technologique, de petits outils rudimentaires à des machines grandes et complexes. D’autre part, elle évolue en allant de l’homogène à l’hétérogène. « Depuis les temps les plus anciens auxquels la science nous donne accès jusqu’aux innovations d’hier, écrit Spencer, un des traits essentiels de l’évolution a été la transformation de l’homogène en hétérogène » (Premiers principes). En effet, tout comme les végétaux et les animaux, l’homme est devenu plus hétérogène. Tel est le sens du processus de civilisation à l’œuvre dans la société. Si celle-ci était au départ un agrégat d’individus quasi identiques, elle a évolué par étapes : les hommes se sont spécialisés dans des fonctions ; puis des usages et des règles sont apparus ; enfin, la société s’est divisée en différentes classes. La substitution d’un pouvoir civilisé et administratif à l’autorité traditionnelle du chef de tribu témoigne pour Spencer d’un processus régulateur conduisant l’humanité vers l’ordre et la précision dans la complexité.
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Le darwinisme social de Herbert Spencer aboutit à un libéralisme controversé
Le darwinisme social voit le bien dans la survie du plus apte. Concevant le corps social comme un organisme vivant, Herbert Spencer postule donc qu’il suivrait des lois similaires. Inspiré par la théorie de l’évolution de Darwin, le philosophe voit plus précisément dans la sélection naturelle la clé explicative du progrès de la civilisation. Il imagine alors que les modifications survenues chez les individus du fait de la logique de différenciation ne peuvent être durables qu’à la condition qu’elles soient adaptées au milieu – sinon, elles disparaissent selon la logique même qui les a fait apparaître. Ainsi, la thèse fondamentale du darwinisme social spencérien est que la vie sociale s’apparente à une compétition où les éléments victorieux et dominateurs permettent à l’espèce humaine de toujours progresser vers une meilleure adaptation au milieu. « La pauvreté des incapables, décrit Spencer, la détresse des imprudents, le dénuement des paresseux, cet écrasement des faibles par les forts, qui laisse un si grand nombre dans les bas-fonds et la misère sont les décrets d’une bienveillance immense et prévoyante » (L’individu contre l’État). Dans cette perspective, le malheur et la misère des individus les plus faibles, qui sont les perdants de la concurrence sociale, se justifient par le destin global de l’espèce humaine, décrit par Spencer comme un élan vers la perfection.
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Le darwinisme social condamne toute intervention de l’État. Herbert Spencer déduit en effet de sa théorie de l’évolution sociale qu’il est nécessaire de laisser s’épanouir le processus de survie des plus aptes. Il faut par conséquent donner la préférence aux lois de la nature sur celles, forcément imparfaites et à courte vue, établies par les législateurs. Le philosophe est ainsi opposé à toute forme de réglementation, même en matière sanitaire ou pour interdire le travail des enfants. « Non seulement les socialistes, accuse Spencer, mais encore les prétendus libéraux, qui leur préparent la voie, croient qu’avec de l’adresse les défauts de l’humanité peuvent être corrigés par de bonnes institutions. C’est une illusion » (L’individu contre l’État). Le darwinisme social aboutit donc, en termes de philosophie économique, à une forme de libéralisme radical qui érige l’individualisme et la concurrence en totems. La société idéale conforme aux vues du philosophe garantit une égale liberté pour tous, protège les droits naturels de l’individu et n’empêche pas la coopération pacifique volontaire. Dès lors, l’État doit se cantonner à la police et à la justice, toutes les fonctions restantes (santé, éducation, assistance, etc.) pouvant efficacement être remplies par le secteur privé. Spencer ne refusait pas la solidarité sociale, mais il souhaitait qu’elle soit volontaire et privée.