Le divertissement est une dimension fondamentale de la vie. Issu du latin divertere (« action de détourner de »), il est défini par Pascal dans ses Pensées comme le moyen, pour l’homme, d’esquiver la solitude qui le renverrait à sa condition misérable. Un roi lui-même a besoin de se divertir, grâce à l’agitation de sa cour, pour oublier qu’il est paradoxalement le plus malheureux des hommes.
Le divertissement est omniprésent dans l’existence humaine. Le concept de Pascal désigne aussi bien les activités frivoles (par exemple, la chasse, le sport, les conversations, le jeu, la séduction, les fêtes, etc.) que les activités sérieuses (la guerre, la politique, l’étude, etc.). Pour le philosophe, toutes servent fondamentalement à se détourner du néant de la vie en prenant part à la comédie sociale qui attise la concurrence des amours-propres. Le divertissement sort donc l’homme de lui-même en le plaçant dans la dépendance de ses semblables et dans le tourbillon des passions sociales. « Quand je m’y suis mis quelquefois, écrit Pascal, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (Pensées). Pascal met tout particulièrement en évidence la puissance d’illusion des statuts sociaux : le prestige du pouvoir conduit l’homme à se consacrer à acquérir des avantages et de la considération sur une scène imaginaire dans le but de satisfaire sa vanité.
La dialectique du maître et de l’esclave de Hegel
Pascal souligne l’ambivalence du divertissement
Le divertissement sert à détourner l’esprit de la misère de la condition humaine. Selon Pascal, il s’agit pour l’individu de ne pas penser à ce qui l’afflige, d’esquiver le caractère déplaisant de la réalité. Son malheur ne relève pas de certaines circonstances, comme un deuil ou un échec ; il est au contraire constitutif de l’existence. L’homme est en effet un être mortel, faible, soumis à de multiples passions et privé de sa seule véritable consolation, son rapport à Dieu. Il ne peut donc pas être heureux dans le repos et l’inaction. « Rien n’est si insupportable à l’homme, écrit Pascal, que d’être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir » (Pensées). Le divertissement est donc le recours au vide métaphysique et au malheur qui sont inhérents à l’existence humaine. Pascal admet que l’illusion du divertissement peut être volontaire, mais il affirme qu’elle est bien souvent involontaire, car « les hommes ne savent pas que c’est la chasse, et non la prise, qu’ils recherchent ». L’individu s’abuse donc lui-même autant qu’il est abusé.
Seul le divertissement aveugle et sérieux est condamnable. En effet, Pascal montre que la connotation péjorative de la notion dissimule son ambivalence. Il distingue dès lors dans le détail un mauvais et un bon divertissement. « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, écrit-il, et cependant c’est la plus grande de nos misères » (Pensées). Le divertissement a en effet d’une part une fonction réelle : préserver l’homme du désespoir auquel il est voué, en le supprimant de sa conscience. Ce mécanisme naturel permettant de protéger le confort psychologique de l’individu a cependant un effet pervers : le divertissement a fortement tendance à revendiquer le monopole de la vie humaine. Or, pour Pascal, l’homme qui se surinvestit dans ce qui n’est qu’un jeu passe à côté du véritable sens de son passage sur Terre. Le divertissement le distrait de penser avec lucidité pour se préoccuper de son salut ; il empêche le chrétien de songer à Dieu, ce qui constitue la seule solution possible au néant de son existence. « Quand nous voulons penser à Dieu, demande Pascal, n’y a-t-il rien qui nous détourne, nous tente de penser ailleurs ; tout cela est mauvais et né avec nous ». La vanité du divertissement est la preuve de la nécessité de Dieu : « Seul Dieu peut combler mon attente ».
La société du spectacle selon Guy Debord