L’insécurité est un sentiment. Alan Watts affirme dans son Éloge de l’insécurité que l’homme moderne fait fausse route en cherchant la sécurité psychologique dans la sécurité (notamment matérielle) de l’existence. Le penseur de la contre-culture américaine entrevoit le malaise spirituel généré par la société de consommation.
L’ère du vide selon Lipovetsky
L’insécurité fait souffrir l’homme moderne. Alan Watts part du constat selon lequel la disparition des croyances traditionnelles engendre un inconfort psychologique : sans la foi, l’individu est indécis, angoissé et frustré. Cet inconfort psychologique nourrit tout particulièrement le sentiment de subir une existence marquée par l’insécurité, dépourvue de points fixes, et plus fondamentalement d’authenticité et de sens. La mentalité de l’homme moderne repose sur un relativisme qui le déprime. Mais ce malaise se justifie-t-il ? « Prosaïquement, explique Alan Watts, notre époque n’est pas plus incertaine qu’une autre. Pauvreté, maladie, guerre, altération et mort n’ont rien de nouveau. À la meilleure des époques, la « sécurité » n’a jamais été davantage que temporaire et superficielle. Mais il a été possible de rendre la précarité de la vie humaine supportable par la croyance en choses invariables, au-dessus du royaume des calamités, Dieu, l’âme immortelle de l’homme et le gouvernement de l’univers par les lois éternelles du bien » (Éloge de l’insécurité). Le malaise du sentiment d’insécurité s’explique donc par un vide spirituel. Or, l’homme a besoin de mythes qui donnent un sens à sa souffrance quotidienne. Il peut soit réactiver d’anciens mythes, soit en créer de nouveaux. Le problème est que les nouveaux mythes reposent sur la surstimulation du désir. Alan Watts reproche à la civilisation moderne de diffuser des croyances qui décuplent la frustration, et donc le sentiment d’insécurité.
Le principe de plaisir et le principe de réalité selon Freud
Alan Watts fait un éloge spirituel de l’insécurité
L’insécurité peut être épanouissante. Alan Watts défend cette idée en partant de la logique du désir. L’esprit humain conçoit le bonheur sous la forme de plaisirs indéfiniment prolongés, et la société de consommation a désormais le pouvoir de donner réalité à cette illusion de plaisirs infinis. Ce faisant, elle sécurise la jouissance. Mais les désirs ne cessant de renaître, les uns après les autres, dans un cercle vicieux, la sécurité de la civilisation moderne engendre l’inverse de ce que l’individu imagine : elle le frustre et l’insensibilise. Il n’est plus capable de goûter les plus simples bonheurs de l’existence. Si la sécurité rend ainsi l’homme malheureux, alors l’insécurité peut l’épanouir. En effet, c’est la douleur qui rend l’esprit humain sensible au plaisir. « Tel est donc le problème de l’homme, avance Alan Watts : il y a un prix à payer pour chaque progrès de la conscience. Nous ne pouvons pas être plus sensibles au plaisir sans être plus sensibles à la douleur » (Éloge de l’insécurité). Dans cette perspective, la souffrance et l’insécurité sont au contraire annonciatrices du bonheur, puisque la jouissance naît du contraste. L’homme peut donc s’épanouir en sortant de sa zone de confort, en s’ouvrant à de nouvelles expériences et opportunités. Cet épanouissement passe par un nouveau rapport au temps : concentré sur le moment présent et attentif à son corps (plutôt que prisonnier des calculs de son esprit), l’homme se libère de l’angoisse. Alan Watts voit ainsi l’insécurité comme une source de bonheur.
La volonté de puissance de Nietzsche
Il faut embrasser l’insécurité. Alan Watts conclut que le secret du bonheur réside dans l’acceptation de l’insécurité inhérente à l’existence. À considérer l’esprit humain, tout d’abord, à cause de la logique du désir, la sécurité de l’existence ne procure pas la sécurité psychologique. Mais la quête de la sécurité révèle plus fondamentalement un désaccord entre l’homme et l’ordre des choses. En effet, l’univers, la nature, et la vie se caractérisent par le changement et la fluidité — c’est-à-dire par l’insécurité. Ainsi, en se protégeant du flux de toutes choses, l’homme se sépare de l’existence même, comme s’il retenait indéfiniment sa respiration. Pour le philosophe, c’est cette séparation qui engendre le sentiment d’insécurité dont souffre l’homme moderne. « J’ai toujours été fasciné, écrit Alan Watts, par la loi de l’effort inverse : quand vous essayez de rester à la surface de l’eau, vous coulez ; mais quand vous essayez de couler, vous flottez. […] L’insécurité résulte de la volonté d’atteindre la sécurité, et, a contrario, salut et bon sens consistent à reconnaître le plus radicalement possible que nous n’avons aucun moyen d’assurer notre propre salut » (Éloge de l’insécurité). Seulement, l’esprit humain refuse l’insécurité parce qu’il est sous l’emprise de l’illusion de l’identité personnelle séparée de l’expérience du monde. Or, l’homme n’est pas plus permanent que tout ce qui existe. Une nouvelle appréhension de la réalité est donc nécessaire, qui réconcilie l’esprit et l’environnement extérieur. Pour Alan Watts, l’acceptation de l’insécurité aboutit au bonheur mystique de la fusion de l’esprit avec le monde.
