L’identité personnelle est une question complexe. Le philosophe anglais John Locke la dissèque dans son Essai sur l’entendement humain dans une perspective qui n’a pas perdu en pertinence. Il met en évidence l’importance de l’idée de l’identité personnelle en soulignant qu’elle a déjà imprégné la langue ordinaire à travers des expressions comme « ne pas être soi-même » ou « être hors de soi ».
L’identité personnelle est une sorte d’identité. John Locke aborde le problème philosophique de l’identité personnelle en partant de l’idée essentielle exprimée par le terme « identité ». Issu du latin idem, qui signifie « même », ce nom commun désigne le caractère d’une chose qui est la même aux différents moments de son existence. Cela implique qu’une chose possède une identité si elle a eu un seul et unique commencement. Un être humain satisfait donc à cette condition, puisque son existence s’est écoulée dans un sentiment de continuité depuis sa naissance. Cette condition ne suffit cependant pas à élucider l’idée d’identité personnelle. John Locke se rend compte qu’une chose n’est pas identique dans le même sens selon qu’elle est de telle ou telle nature. Il approfondit alors sa réflexion en distinguant trois cas. En premier lieu, l’identité d’un corps dépend de sa constitution matérielle. Par exemple, un diamant qui a perdu une partie de sa masse n’est plus le même. En deuxième lieu, l’identité d’un être vivant tient à la persistance, à travers le temps, d’une cohésion organique : l’organisation des parties de l’être demeure la même. « Un chêne qui croît d’une petite pousse jusqu’à un grand arbre, puis qu’on taille, est toujours le même chêne », explique John Locke dans son Essai sur l’entendement humain. Enfin, l’identité de l’être vivant humain est encore autre chose.
Locke relie l’identité personnelle à la conscience et la mémoire
L’identité personnelle dépend de la conscience. Pour John Locke, l’identité de l’être vivant ne suffit pas à définir précisément l’identité de l’homme. Le fait que l’organisation des parties du corps humain demeure la même au fil du temps ne suffit pas à garantir son identité, car le contenu de son esprit peut changer. Par exemple, dans le roman L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, qui est l’allégorie de référence, dans la culture mondiale, de la double personnalité, Edward Hyde et le docteur Henry Jekyll partagent un même corps. Cet exemple montre qu’il est nécessaire de définir le concept de personne pour définir celui d’identité personnelle. John Locke le fait grâce à l’idée de conscience, entendue comme la capacité à connaître sa propre existence. Ainsi, une personne consciente est un être pensant qui reconnaît qu’il est le même malgré les variations du temps et de l’espace : « un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une même chose pensante en différents temps et lieux » (Essai sur l’entendement humain). L’idée de conscience fonde donc l’idée d’identité personnelle. En effet, c’est cette faculté qui fait qu’un homme est le même pour lui-même : elle réunit des pensées et des actions distinctes dans le temps et l’espace au sein de la même personne, peu importe que la substance matérielle (les atomes qui constituent le corps) ou la cohésion organique de l’individu aient changé.
L’identité personnelle dépend fondamentalement de la mémoire. John Locke poursuit sa réflexion en établissant que la conscience repose elle-même sur une autre faculté qui permet de connecter l’existence passée à l’existence présente, la mémoire. Dans le détail, il conçoit la mémoire comme l’activité même de la conscience par rapport au temps : elle est à la fois la conscience de l’existence passée de l’individu, c’est-à-dire de ses actes et pensées passés ; et la conscience de la connexion entre son existence passée et son existence présente. La mémoire est donc le support ultime de l’identité personnelle parce que c’est d’elle que dépend la continuité de l’esprit dans le temps. John Locke en conclut que « l’identité d’une personne s’étend aussi loin que la conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée » (Essai sur l’entendement humain). Le philosophe anglais évoque la portée judiciaire de cette définition : la responsabilité des actes dépend de l’extension de la conscience personnelle dans le passé. Concrètement, une personne qui n’était pas elle-même lorsque son corps a commis un acte ne peut pas être tenue pleinement responsable de cet acte. Fonder l’identité personnelle sur la mémoire permet donc de se servir de la notion de responsabilité. C’est dans cette perspective que le philosophe anglais traite une objection : l’individu qui a oublié un acte est-il irresponsable ? À suivre strictement la définition de l’identité personnelle de John Locke, un individu qui n’a pas conscience d’un acte n’est plus la personne qui l’a commis.