La consolation de la philosophie sert dans l’adversité. Emprisonné par le roi Théodoric (dont il était un ami intime) alors qu’il se prétend innocent, Boèce se raccroche dans La Consolation de la philosophie à la culture philosophique dont il a été nourri dès l’enfance afin de supporter sa chute de la meilleure condition à la pire. Il personnifie la philosophie en une femme à laquelle il se plaint et pose des questions.
La philosophie antique selon Pierre Hadot
La consolation de la philosophie accroît la résistance. Boèce, qui a l’âme troublée par un grand revers de fortune, a l’impression que les innocents souffrent les peines que méritent les méchants, tandis que ceux-ci font impunément tout ce qui leur plaît. L’inconstance de la fortune et le triomphe du crime rendent donc nécessaire la résistance. Seulement, la poésie n’est pas la solution. Elle entretient la douleur et ne fait qu’accoutumer le cœur aux maux qui le dévorent en exprimant des sentiments frivoles qui étouffent la raison. C’est la philosophie qui donne à l’homme les armes qui doivent le rendre invincible. « L’homme sage, explique la philosophie personnifiée, ne doit donc pas plus s’alarmer quand il a à combattre contre l’adversité, que l’homme courageux quand il faut marcher à l’ennemi ; car plus il y a d’obstacles à vaincre, plus il y a pour celui-ci de gloire à acquérir, et plus il y a pour l’autre de moyens de croître en mérite et en sagesse » (La Consolation de la philosophie). L’homme sage a d’autant plus besoin d’être résistant qu’il est la cible naturelle des méchants, ainsi que le montre l’histoire de la philosophie. Anaxagore, Socrate, Zénon, ou encore Sénèque ont par exemple souffert de persécutions. Mais la philosophie élève un rempart contre la méchanceté, fût-elle celle d’un tyran. Boèce conclut que l’homme qui sait supporter tous les événements est toujours heureux.
Boèce retrouve le bonheur par la consolation de la philosophie
La consolation de la philosophie soumet à l’ordre des choses. Boèce affirme tout d’abord sa foi en un ordre naturel immuable, créé par une intelligence suprême et conduit par elle avec sagesse. Cette intelligence suprême est Dieu. Malgré cette providence, les hommes sont sans cesse le jouet de la fortune. Celle-ci peut rendre le même individu misérable et heureux en moins d’une heure. Si Boèce souffre, c’est parce qu’il a oublié l’inconstance de la fortune. Il a également méconnu le fait que les biens appartiennent à la fortune, pas à l’individu. Seulement, l’avidité des hommes est sans limite — ils ne savent pas se contenter des richesses et des dignités que Dieu leur prodigue. Les revers de la fortune ont donc un avantage : « Je pense, avance la philosophie personnifiée, que la mauvaise fortune est plus avantageuse aux hommes que la prospérité. En effet, celle-ci les abuse continuellement sous l’apparence séductrice d’une fausse félicité ; celle-là leur découvre la vérité lorsque, par ses changements continuels, elle leur montre son inconstance naturelle : celle-ci les abuse ; celle-là les détrompe : celle-ci captive leurs cœurs par les charmes des faux biens de ce monde ; celle-là leur rend la liberté, en leur en faisant connaître la fragilité et le néant » (La Consolation de la philosophie). De même, les revers de fortune mettent en évidence les vrais amis. Mais comment les supporter ? Il faut vivre avec détachement. Selon Boèce, rien ne peut ébranler l’homme qui renonce à régler lui-même son sort et méprise les événements.
La consolation de la philosophie valorise la vertu. Boèce part de l’idée que la sagesse dévalorise les richesses et les félicités. En particulier, le bonheur ne réside pas dans le plaisir. En fait, il ne réside pas dans les biens de ce monde, car l’homme ne les possède jamais ensemble — c’est pourquoi il souffre forcément du manque. Il y a même des effets pervers. Par exemple, les richesses rendent les hommes encore plus cupides et plus méchants. De même, les hommes les plus puissants sont les esclaves des passions qui les dévorent intérieurement. « Chacun de ces tyrans, écrit Boèce, est en proie à mille tyrans intérieurs. Accablés sous le cruel empire de tant de maîtres inhumains, sont-ils jamais véritablement maîtres de faire ce qu’ils désirent ? » (La Consolation de la philosophie). Les favoris des maîtres, quant à eux, sont victimes de leurs caprices. Enfin, ni les qualités du corps ni même la bonne conscience ne sont les ingrédients du bonheur. À l’égard des biens de la fortune, l’homme doit donc abandonner l’illusion qu’ils le rendront heureux et simplement suivre ses besoins. C’est la vertu qui le rendra heureux. Pour cela, il faut acquérir la puissance intérieure, qui consiste à régner sur soi-même en dominant ses passions. Si l’individu se possède lui-même de la sorte, alors il ne pourra jamais rien perdre, et rien ne pourra troubler la profonde paix dont il jouit. Boèce pose que l’homme qui se perfectionne par la philosophie a Dieu pour modèle.
